L’invention des déchets Enregistrer au format PDF

Le terme "déchet", dérivé du verbe "déchoir" désigne un objet qui a perdu de sa valeur a nos yeux. Le Code de l’Environnement définit un déchet comme « toute substance ou tout objet, ou plus généralement tout bien meuble, dont le détenteur se défait ou dont il a l’intention ou l’obligation de se défaire » [1]. Face à cette situation, on pourrait légitimement penser que nos déjections sont bien des "substances« dont »on se défait"… Pourtant, ni nos excrétas?, ni nos eaux usées ne sont considérés par l’ADEME comme des déchets [2]. Ce ne sont pas des déchets, mais ils le deviennent : les boues d’épuration et les matières de vidange sont inclues dans la définition légale !

Les travaux de l’urbaniste Sabine Barles donnent un éclairage historique intéressant sur l’invention du concept de déchet. Le terme de "déchet« est très récent, au XIXe siècle la ville est »une productrice non pas de déchets, mais de matières premières agricoles et industrielles«  [3]. Pour des raisons essentiellement économiques, il s’établit en effet »une complémentarité entre ville, industrie et agriculture […] qui se traduit par la recherche du bouclage des cycles des matières«  [4]. Les excrétas humains produits par la ville représentent un enjeu crucial pour l’agriculture péri-urbaine à l’époque : »priver la campagne des excrétas des populations urbaines toujours plus nombreuses et dévoreuses des produits de l’agriculture, c’est rompre le cycle des matières." [5]

L’harmonie entre ville et campagne dans le respect des cycles des matières ne durera qu’un temps. A la fin du XIXe siècle, l’étalement urbain commence à éloigner les terres agricoles des grandes agglomérations et l’agriculture va trouver d’autres sources de fertilisants, notamment avec la découverte des gisements de phosphore en Afrique du Nord. Peu à peu, l’agriculture va s’engager sur la voie des engrais de synthèses et la ville va rejeter ses excrétas qui, désormais sans valeur, vont devenir des déchets…

Pour aller plus loin, nous conseillons vivement la lecture des ouvrages de Sabine Barles, notamment de L’invention des déchets urbains.

[2Voir la liste des déchets sur cette page du site de l’ADEME.

[3Sabine Barles, L’invention des déchets urbains : France, 1790-1970, Éditions Champ Vallon, 2005, p.12

[4Ibid. p.12

[5Ibid. p.70

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