Article mis à jour le 10 décembre 2013
Voilà quelques années que pédologues et agronomes s’étonnent devant la découverte en Amazonie de sols très particuliers, caractérisés par leur couleur noire en profondeur (qui leur a valu le nom de « Terra Preta », Terre Noire en portugais), et surtout par leur capacité à conserver un haut niveau de fertilité plusieurs années après leur mise en culture. C’est d’autant plus étonnant que généralement les sols ordinaires de ces régions ne peuvent maintenir que très peu de temps leur potentiel de fertilité une fois la forêt coupée, effet dû à au lessivage pluvial intense qu’ils subissent en permanence. A l’analyse, ces sols ont révélé la présence de charbon de bois et de déchets organiques typiques de l’habitat humain (excréments et restes de cuisine), transformés et liés d’une manière qui semblait jusqu’ici assez mystérieuse.
Ralph Otterpohl a publié en 2009 un article éclairant à ce sujet [1] qui a été traduit par Pierre Besse ci-dessous et que vous pouvez aussi télécharger au format pdf.
L’Assainissement par la Terra Preta : de nouvelles possibilités pour les systèmes d’assainissement écologiques.
Par Ralph Otterpohl (avec des contributions de Horacio Factura et Christopher Buzie),
Une analyse d’une civilisation première en Amazonie, sur le territoire du Brésil, révèle des conceptions qui rendent possible une gestion particulièrement efficace des déchets organiques. La Terra Preta do Indio est un sol noir anthropogénique produit par une culture ancienne grâce à la conversion de bio-déchets et de matières fécales en sols fertiles à long terme. Ces sols ont maintenu de hauts niveaux de carbone organique parfois plusieurs millénaires après leur abandon (Lehmann et al., 2003b). On a récemment découvert qu’environ 10 % du sol originellement infertile de l’Amazonie avait été converti de cette manière depuis 7000 ans jusqu’à il y a 500 ans (Glaser, 2007). Sur un mètre de profondeur, un hectare de Terra Preta contient 50 tonnes de carbone, au lieu de 100 tonnes dans les sols non améliorés (Lehmann et al., 2006). Un fait surprenant parmi d’autres est que ce sol est hautement productif sans addition de fertilisants.
Il semble que la terra preta dérive des matières fécales et des déchets organiques, et que dans cette culture, les premières étapes de l’assainissement étaient une fermentation lactique et le vermicompostage avec addition de charbon de bois. Les résultats du programme « Terra Preta Sanitation » (TPS), expériences de laboratoire à l’Institut de Gestion des eaux usées et de Protection de l’eau de l’Université de Technologie de Hambourg, et les essais effectués à la maison de Haiko Pieplow (ministère de l’Environnement, Allemagne) autorisent cette hypothèse. Des recherches appliquées sur les principes d’un « Assainissement à Terra Preta » moderne ont montré qu’il est possible de transformer d’une manière hygiénique et durable des déchets organiques et des matières fécales en un matériau fertile analogue à l’humus.
L’Assainissement à Terra Preta procède par une lacto-fermentation des fèces suivi d’un vermicompostage en deux étapes. La lacto-fermentation est similaire au procédé de production d’ensilage en agriculture, qui fonctionne en conditions anaérobies mais sans formation de gaz pendant le processus. Dans nos premiers essais en laboratoire, nous avons utilisé des ferments lactiques de choucroute et des « micro-organismes efficaces » (EMA).
Un des principaux avantages de la lacto-fermentation est qu’elle fonctionne d’une manière efficace et stable sans échange d’air, et qu’elle ne produit pas d’odeur désagréable. Il suffit de recueillir les fèces dans un simple seau (avec un couvercle), et d’ajouter une demi-tasse de mélange à base de charbon de bois : du charbon de bois pur, de la chaux, de la poudre de pierre et des bactéries lactiques ajoutées aux fèces après chaque usage de la toilette. Le papier toilette est collecté à part. Le réceptacle des matières fécales devra être fermé de façon imperméable à l’air après chaque usage, mais avec un peu d’air résiduel le système marche quand même. En même temps que le recueil des fèces, l’addition d’autres bactéries, notamment Bacillus subtilis et de copeaux de bois rend le substrat fécal propice aux vers pendant le vermicompostage, comme l’a expérimenté le Dr Jurgen Reckin (Pflanzenvielfalt e.V. i.gr., Berlin, Allemagne). Le bois ajouté qui éventuellement se décompose s’intègre à la matière organique finale (terra preta).
Désormais pour la communauté des chercheurs en Assainissement Écologique, il est important de savoir que ces sols sont le produit de systèmes brillants de toilette sèche qui sont décrits par Haiko Pieplow. Notre propre expérience de l’usage de l’Assainissement à Terra Preta nous a convaincus que c’est la clé vers de nouveaux développements pour les systèmes de toilette sèche à séparation de l’urine. Il n’y a pas besoin de déshydrater les matières fécales, ni d’une ventilation. Il n’y a pas besoin non plus d’une double chambre.
Nous voyons un lien étroit avec l’agriculture urbaine et le jardinage sur les toits. Plus les gens appliqueront ce système, plus il sera produit de terra preta et plus de nourriture pourra être produite avec une consommation d’énergie réduite. Nous avons fondé un réseau informel de chercheurs qui est ouvert à tous. Ceux qui sont intéressés peuvent me contacter par email : ro[at]tuhh.de
Il y a aujourd’hui des entreprises industrielles qui font un mauvais usage de l’idée de Terra Preta sous le nom de « Biochar », pour obtenir l’autorisation d’abattre de grandes quantités de plantes ou d’arbres pour produire du charbon de bois et de l’énergie et par la suite séquestrer le charbon dans le sol. Leur lobby est si puisant qu’ils ont même une session au Sommet de Copenhague sur le Climat. Il est peu probable que le charbon de bois seul apporte au sol une fertilité durable à long terme. Le Biochar est du charbon produit par pyrolyse (un cas particulier de thermolyse, à plus de 300 °C, lié au procédé chimique de la carbonisation) du bois.
La Terra Preta est le sol noir (sol similaire à du compost) résultant de nombreuses années de dégradation du biochar (comme en Amazonie). L’Assainissement à Terra Preta est plutôt le compostage assisté par le charbon de bois, d’une matière organique riche comme la matière fécale et les déchets organiques.